En premier lieu rappelez-vous que la méthode présentée dans ces pages vous demande une forte concentration sur les formes des composants et sur les interactions qu'ils peuvent subir pour donner vie au kanji qu'ils forment. A dire vrai, la plus grande efficacité serait obtenue en faisant une totale abstraction du reste de la langue japonaise. Et si vous êtes prêt à payer ce prix en ce début de votre étude, sans doute remarquerez-vous que d'autres étudiants, apprenant d'une façon plus conventionnelle, sauront avant vous tracer certains kanji qui vous paraîtront complexes, et sauront peut-être même les prononcer. Puis peu à peu, vous constaterez que vous n'oubliez absolument rien de ce que vous apprenez, alors que vos collègues lancés sur la voie traditionnelle commenceront à devenir les victimes d'une sorte de "blocage", qui dans le pire des cas se concrétise par une sorte de dégoût profond de la langue écrite, voire orale.
En second lieu, il faut savoir que la question
de la prononciation des kanji n'est pas très simple et qu'il est
préférable, au moins dans une certaine mesure, de l'aborder
d'une façon systématique. Cela doit faire l'objet d'un second
volume, complétant celui-ci. La double origine, chinoise et japonaise,
de la langue japonaise, est une des raisons de cette complexité.
prenons l'exemple du caractère clair Voici
ses deux principales prononciations:
akarui | clair (clarté lumineuse) |
akiraka | clair (explication claire) |
Ces exemples montrent le kanji utilisé
seul, mais complété par des terminaisons grammaticales, écrites
en hiraganas. La prononciation qui lui est assignée est d'origine
japonaise, correspondant en principe à un mot qui existait déjà
dans la langue japonaise, avant que soit importé le système
d'écriture chinois. Cependant, le même kanji peut intervenir
dans des mots composés, au sein desquels il est associé à
un autre kanji. La prononciation utilisée est alors d'origine "chinoise",
c'est- à-dire ressemblant à la prononciation en vigueur en
Chine à l'époque de l'importation du mot au Japon. Bien entendu,
cette prononciation a été adaptée aux sons du japonais,
de même que nous francisons les mots empruntés à l'étranger
(coquetèle, fioul, Nouillorque, choucroute, redingote, etc.). Cela
peut donc donner des composés tels que les suivants :
chômée | éclairage | se prononce mei |
mintchô | police de caractère | se prononce min |
myônitchi | demain | se prononce myô |
Les prononciations sont indiquées de manière approchée en caractères latins, selon les règles de la prononciation française. Elles diffèrent de celles de romanisation selon le système Hepburn, que nous n'utilisons sur cette page pour éviter certains défauts de prononciations des francophones.
Mais il est bien évident que la
notion de « demain » existait en japonais avant l'arrivée
des kanji. Il est donc possible de prononcer "à la japonaise" le
mot qui signifie "demain". Il y a d'ailleurs deux possibilités:
achita | demain (niveau de langue normal) |
assu | demain (langue parlée) |
Il faut savoir, pour ces trois derniers cas, deviner selon le contexte laquelle de ces trois lectures sera la mieux appropriée. Il existe encore quelques autres prononciations. En résumé, ce caractère anodin peut se prononcer akarui, akiraka lorsqu'il est employé selon l'origine japonaise du mot, puis min, mée, myô, employé dans des composés d'origine chinoise, et achita, assu associé avec un autre kanji pour former un mot traditionnel japonais.
Il existe douze prononciations au total, mais celles qui précèdent suffiront pour illustrer mon propos. Voilà donc un caractère qui vous paraissait simple, et qui, une fois dévoilées ses prononciations, se dérobe à votre entendement. Certains caractères sont plus simples, d'autres plus complexes, mais il est important de bien comprendre qu'une tentative d'apprentissage simultané des prononciations ralentira considérablement votre progression, voire la bloquera totalement : à vouloir tenter de briser trop vite et sans organisation le trop fameux et mal nommé "mur des kanji", bientôt ses multiples briques vous tomberont dessus pêle-mêle, sans que vous ayez eu le temps de préparer des caisses pour les y ranger, et les y retrouver ensuite.
Vous désirez donc savoir où sont ces caisses. Supposons par exemple que dans les exemples qui précèdent, vous connaissiez déjà un mot, pour l'avoir entendu de vive voix: voilà une caisse. En pareil cas, vous pouvez établir une relation entre un caractère vu dans le livre, et un mot que vous connaissez déjà : désormais ce caractère, associé à l'une de ses prononciations, est vôtre pour la vie.
Il est probable par ailleurs que d'autres composés présentés ci-dessus ne vous sont pas encore familiers, ne fassent pas encore partie de votre vocabulaire oral. Vous ne possédez donc pas encore la caisse et, a priori, il est vain de tenter dès maintenant de retenir cette prononciation. Car il vous faudra encore une immense énergie pour vous concentrer sur les formes des caractères, et résoudre au plus tôt la question de leurs signification et écriture. Ce livre est là pour vous délivrer de ce poids, dans les meilleurs délais.
Un second volume, faisant pendant à celui-ci, tente de résoudre aussi simplement que possible la difficile question des prononciations. Mais il faut bien admettre que la systématisation s'applique moins bien aux prononciations qu'au sens et à l'écriture des kanji. Je ne saurais donc trop vous encourager à l'aborder une fois que vous aurez terminé ce premier, mais en attendant, afin de rendre moins pénible cet apprentissage, à chaque kanji connu que vous voyez écrit, n'hésitez pas à demander à vos amis japonais de les lire pour vous : les sonorités deviendront peu à peu plus familières, puis vous constaterez que certains formes impliquent presque toujours une même prononciation, et le processus de lecture s'enclenchera graduellement : l'apprentissage d'une langue nécessite qu'on la voie vivre autrement que dans un livre, pour la sentir au mieux.