Un article
de Jacques Testart (paru dans Libération le 7 décembre 2001) L'impossibilité scientifique d'évaluer à long terme les conséquences des plantes transgéniques est plus révoltante que la violence des opposants. Les OGM, un vandalisme libéral
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Même si les OGM
parvenaient à démontrer les qualités promises, il restera que la
terre a été transformée en champ d'expérimentation avant même que
la faisabilité du projet eût été démontrée. La décision prise, et
appliquée par plusieurs associations, de détruire systématiquement
les plantations d'organismes génétiquement modifiés (OGM) a donné un
nouveau tour au débat sur les OGM. Non seulement parce que les
opposants revendiquent ainsi au grand jour une forme avérée de
violence, mais surtout parce que les parcelles détruites sont qualifiées
d'«essais» à but scientifique. Il s'agirait alors d'un crime de lèse-science,
commis par de «nouveaux vandales» que dénoncent François Ewald et
Dominique Lecourt (le Monde, 4 septembre). Il semble qu'après avoir
longtemps pataugé dans l'expertise sanitaire (les OGM sont-ils
dangereux pour la santé?), le débat aborde enfin le fond: les procédures
de dissémination des OGM sont-elles conformes aux règles
scientifiques, d'une part, et aux règles démocratiques, d'autre part.
Comment reconnaître «la science» dans des essais dont le but est de
savoir si le hasard a bien fait les choses en conférant les qualités
espérées à des végétaux bricolés, c'est-à-dire des essais qui se
limitent à évaluer des qualités commerciales? En effet, il ne s'agit
pas de mieux comprendre des phénomènes moléculaires ou
environnementaux pour apporter une pierre à la connaissance mais
seulement d'établir le niveau de performance et/ou de nuisance de ces végétaux,
afin de leur conférer un éventuel label On ne voit pas comment des essais pratiqués en France sur 100
m2, pendant une saison, viendraient contredire ce bilan navrant, résultat
de cultures répétées pendant plusieurs années sur des milliers
d'hectares, bilan qui oblige à poser la question: «Les OGM ça sert à
quoi? Ça sert à qui?» La résistance des plantes (et animaux) transgéniques
à se comporter selon les désirs des hommes (comme l'échec des thérapies
géniques en médecine) révèle seulement l'inconsistance de notre
savoir actuel malgré tous les discours prétentieux. Ce qui introduit
le plus grand risque dans les démarches de «maîtrise», c'est
justement l'absence de maîtrise à moyen terme des actions engagées.
C'est donc bien de science dont nous manquons, par exemple pour
comprendre comment un être vivant complexe pourrait incorporer et
exprimer un gène totalement étranger, sans que cette modification ne
soit délétère à d'autres fonctions vitales, car «l'absence totale
d'interaction entre un transgène inséré dans une zone non codante et
le reste du génome est une hypothèse qui ne peut être admise sans être
vérifiée concrètement» (rapport du Commissariat général du plan).
Ou comprendre comment un virus vecteur non pathogène, chez lequel on
incorpore un gène «d'intérêt» (selon une stratégie banale pour
fabriquer des OGM), peut devenir un redoutable tueur, ainsi qu'il est
arrivé accidentellement dans une expérience australienne. Plus prosaïquement,
il faudrait expliquer la génération d'un Ovni dans l'OGM, telle cette
séquence d'un fragment d'ADN non répertorié découverte dans le soja
RR de Monsanto. Nul doute que de tels travaux scientifiques, qui
seraient menés en toute sérénité dans des laboratoires échappant
sans peine à la vindicte des «nouveaux
vandales», seraient utiles pour évaluer le projet OGM. On peut
même considérer qu'ils en seraient un préalable et que c'est la
carence de science, et l'impossibilité d'évaluer les conséquences à
long terme des OGM, qui est révoltante, plus que l'agitation de
mouvements citoyens. Les laudateurs de «l'expertise des savants»
voudraient «qu'une expérience réussie parvienne à constituer une
expertise certaine». Outre que de telles «expériences» devraient
assumer les critères scientifiques habituels, dont la répétitivité,
laisser croire qu'il existerait une
expertise objective et compétente sur ces sujets économiquement
sensibles, c'est négliger, par exemple, que la viande de bovins traités
aux hormones est acceptée par les experts américains et refusée par
les Français. A côté de cette violence faite aux comportements
scientifiques usuels par les essais d'OGM, on en vient donc à la
violence faite à la démocratie, ces deux attentats ayant une origine
commune: la compétition entre industriels pour s'assurer de nouveaux
marchés, au prix de perturbations de l'environnement, de
bouleversements des modes de production et de risques pour la santé
humaine. Car, même si les OGM parvenaient à démontrer les qualités
promises, il restera que la terre a été transformée en immense champ
d'expérimentation avant même que la faisabilité du projet eût été
démontrée. Tant de légèreté est la rançon des urgences imposées
par une vision libérale et archaïque du progrès et ne semble pas
avoir eu d'équivalent dans l'histoire des technosciences. Car les peurs
nées avec l'électricité n'empêchaient pas les ampoules d'éclairer,
et la machine à vapeur pouvait bien
inquiéter, elle faisait avancer les trains. A ceux qui s'étonneraient
que des milliards de dollars soient investis dans une stratégie dont la
faisabilité ne serait pas démontrée et en concluraient à la réalité
des performances des OGM, nous ferons remarquer que les intérêts des
agro- industriels se nourrissent de cette croyance largement partagée,
selon le principe du bluff bien connu de nombreuses start-up. Car cette
croyance suffit à favoriser la stratégie de concentration des lobbies
et la domination de l'alimentation mondiale, depuis la graine jusqu'au
supermarché, en passant par la vassalité des paysans. On doit alors
s'inquiéter du refus des industriels d'accepter leur responsabilité
dans cette expérimentation planétaire, principalement en assumant le
principe «pollueur- payeur», et de l'insouciance des politiques qui
n'exigent pas cet engagement, malgré la pollution croissante de
l'univers végétal par les OGM. C'est le fait accompli de cette
pollution (qui n'est peut-être pas accidentelle) qui a conduit les
pouvoirs publics à admettre l'impossibilité de cultures exemptes
d'OGM. Pressentant une telle situation,
René Riesel, paysan autoproclamé destructeur de «chimères génétiques
d'Etat», soulignait devant le tribunal correctionnel de Montpellier, le
8 février, que «le seul choix qui reste est d'aménager, autant que
possible, le cours chaotique de l'innovation automatisée, ses dégâts
collatéraux, ses regrettables externalités négatives... en repoussant
toujours plus loin les seuils d'acceptabilité sociale...». Quand ils
se demandent ce que fait la police pour protéger des «vandales» les
«travaux scientifiques» que seraient les essais d'OGM, François Ewald
et Dominique Lecourt argumentent aussi sur «les objectifs d'indépendance
nationale» et la menace de voir émigrer chercheurs et industriels,
confirmant que s'il devait y avoir débat, ce ne pourrait être sur le
principe du recours aux OGM mais seulement sur d'éventuelles externalités
négatives. Ainsi, au mépris de l'opinion publique, les jeux sont
faits, sous la pression de quelques puissants lobbies défendus par une
poignée de chercheurs, eux-mêmes relayés par un quarteron
d'intellectuels souvent abusés par les discours triomphalistes de la
technoscience. Et ce sont ces derniers qui amalgament les actes de la
Confédération paysanne et d'Attac avec ceux de la Terreur révolutionnaire,
par une confusion qui, fait remarquable, ne se réclame pas de la démocratie
mais de la science et de la «liberté de la recherche». Il reste que
cette liberté serait mieux honorée si «le recours aux OGM était systématiquement
mis en balance avec l'utilisation de méthodes alternatives lors d'études
systémiques», comme le recommande le rapport du Commissariat général
du plan. Il est significatif que le directeur du Programme des Nations
unies pour le développement ait illustré sa démonstration d'un espoir
pour les pays pauvres non par l'exemple du «Golden rice», OGM vedette
largement surfait, mais par celui d'une variété de riz obtenue selon
des méthodes conventionnelles... En réalité, la dissémination prématurée
des OGM n'est qu'un maillon du déchaînement technologique qui s'appuie
sur une certaine conception du monde et des rapports humains, au mépris
du développement durable. Refuser cette conception, c'est refuser le
vandalisme libéral. |