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PETITE REVUE DE PRESSE INTERNATIONALE

THE WALL STREET JOURNAL New York
DE COLERIDGE (NEBRASKA)
Les agriculteurs américains ne croient plus au rêve transgénique PRODUCTION - Il y a trois ans, ils s'étaient lancés à corps perdu dans les cultures d'OGM. Aujourd'hui, de nombreux agriculteurs américains rebroussent chemin - au point de semer la panique dans l'industrie de la biotechnologie. Reportage.

Novembre est le mois où les agriculteurs américains passent leurs commandes de semences pour les plantations du printemps suivant, et force est de constater qu'on assiste cette année à la fin d'un boom. Après trois ans de croissance ininterrompue, les ventes de graines transgéniques vont, selon toute vraisemblance, baisser pour la première fois l'an prochain. Nombre d'exploitants restent des inconditionnels de ces semences et ne partagent pas les inquiétudes des consommateurs au sujet des organismes génétiquement modifiés (OGM). Seulement, ils ne peuvent pas se permettre de ne pas en tenir compte. "Même si le client a tort, il a raison", rappelle Boyd Ebberson. Depuis trois ans, M. Ebberson sème dans son exploitation géante des graines issues de manipulations génétiques. Mais, l'année prochaine, indique-t-il, il reprendra ses anciennes habitudes.

Une décision comme celle de M. Ebberson fait l'effet d'une bombe pour l'industrie de la biotechnologie, qui a investi des dizaines de milliards de dollars dans la mise au point des OGM. Cette technologie facilite tellement la culture de certaines plantes que les agriculteurs américains, prudents par nature, l'ont adoptée avec enthousiasme, acceptant sans sourciller de payer 25 % de plus pour obtenir des graines génétiquement modifiées. Les ventes de ces semences (introduites sur le marché en 1996) se sont envolées, pour s'établir à 1 milliard de dollars (971 millions d'euros) au printemps dernier. Certains dans l'industrie de la biotechnologie prévoyaient des ventes record de 2 milliards de dollars pour le printemps prochain. Aujourd'hui, c'est un autre son de cloche. "Nous serons heureux si nous maintenons nos ventes à leur niveau actuel", avoue Edward Shonsey, président du pôle semences américaines de Novartis, le géant suisse de la biotechnologie et de la pharmacie. Mais ces prévisions semblent encore trop optimistes aux yeux de Robert Wichmann, un dirigeant de Pioneer Hi-Bred International, une filiale du groupe DuPont, qui prédit un "certain glissement" du chiffre d'affaires de la firme. Pioneer est le premier producteur de semences aux Etats-Unis.

DES CADRES FONT LE SIÈGE DES EXPLOITATIONS DU MIDWEST

Le renversement de tendance transforme une routine - passer des commandes de graines - en une sorte de campagne politique. Ces dernières semaines, M. Shonsey s'est installé d'innombrables fois aux côtés d'un agriculteur, sur le siège d'une moissonneuse-batteuse, pour essayer de le persuader de ne pas modifier ses commandes. Chez Monsanto, qui produit des semences de maïs, de soja et de coton issues de manipulations génétiques, les cadres font aussi le siège des exploitations du Midwest. Dans des publicités radiophoniques, des réunions municipales ou au cours de conversations sur les moissonneuses-batteuses, ces cadres s'efforcent de soutenir les ventes : ils promettent un gel des prix pour les livraisons de l'année prochaine, après avoir procédé à des hausses régulières ; ils s'engagent également à aider les agriculteurs à trouver des acheteurs pour leurs récoltes. Mais cette proposition ne fait que conférer davantage d'acuité à la question qui tracasse le plus les paysans : lors de la moisson de l'année prochaine, justement, existera-t-il un marché vigoureux pour les OGM ?

Pour l'heure, les Américains dans leur majorité ne sont pas encore conscients - et à plus forte raison inquiets - de la présence dans les rayons des supermarchés d'innombrables produits contenant des ingrédients transgéniques, depuis l'édulcorant de leurs boissons gazeuses jusqu'aux corn flakes de leur bol de céréales. Mais, quand ils sont interrogés dans les sondages, les consommateurs américains disent vouloir connaître le contenu exact de leurs assiettes. Ce mois-ci, un texte de loi, soutenu par les deux partis, a été déposé au Congrès sur l'étiquetage obligatoire des fruits et légumes frais et des aliments préemballés signalant la culture à partir de semence génétiquement modifiée ou la présence d'OGM. Pour être adopté, il lui faudra passer les obstacles que ne manqueront pas de dresser les groupes de pression du secteur agroalimentaire, qui craint qu'une législation sur l'étiquetage n'ait des conséquences préjudiciables pour l'industrie des OGM, semblables à celles que l'Europe a subies ces dernières années. Pour sa part, la Food and Drug Administration (FDA), l'organisme fédéral chargé du contrôle pharmaceutique et alimentaire, vient de faire savoir qu'elle envisageait de revoir sa position sur les cultures transgéniques [jusqu'ici, la FDA ne contrôlait d'aucune façon les produits transgéniques]. En Europe, l'hostilité des consommateurs est telle que le slogan "sans OGM" est devenu un argument commercial efficace. Les entreprises agroalimentaires américaines vont presque certainement préférer supprimer les ingrédients génétiquement modifiés plutôt que mettre une étiquette indiquant leur présence dans leurs produits. D'ores et déjà, nombre d'entre elles s'efforcent de trouver des substituts pour leurs exportations vers l'Europe. C'est dans le Midwest que se trouve la grande majorité des terres consacrées aux cultures transgéniques. En quatre ans seulement, près de 28 millions d'hectares, soit l'équivalent de la superficie totale des terres cultivées de l'Iowa et de l'Illinois, ont été convertis à ces productions. Mais, aujourd'hui, au vu des premières commandes reçues, certains négociants en graines locaux s'attendent à une chute d'au moins 20 % des ventes de variétés transgéniques. Le recul est tel que les semenciers redoutent une pénurie des graines traditionnelles.

DuPont espère enrayer la baisse. Son directeur général Charles Johnson s'est envolé à bord du Learjet de la société vers la ville de Wayne, dans le Nebraska, pour participer à une réunion avec des agriculteurs. Le groupe a investi massivement dans les graines transgéniques, avec notamment la prise de participation, en octobre dernier, pour 7,7 milliards de dollars, des 80% du capital de Pioneer qu'il ne contrôlait pas encore.

En théorie, ces agriculteurs sont d'ardents partisans de la biotechnologie. Avant son arrivée, une chenille dévoreuse de maïs faisait de tels ravages qu'ils devaient engager des avions pulvérisateurs qui aspergeaient leurs champs d'insecticides si puissants qu'eux-mêmes ne pouvaient y pénétrer avant plusieurs jours. Mais la transplantation dans le grain de maïs d'un gène prélevé sur un micro-organisme qu'on trouve communément dans la terre, Bacillus thuringiensis, a résolu le problème en tuant la chenille sans nuire à d'autres espèces. "Bt", le maïs génétiquement modifié, a provoqué une chute de 20 % des ventes locales d'insecticides. Maintenant qu'ils n'utilisent plus tous ces produits chimiques, les paysans ont l'impression d'obtenir des produits meilleurs pour la santé. "On ne peut pas jeter ces progrès techniques à la poubelle. Ce sont eux qui permettent de nourrir la population toujours plus nombreuse de la planète", martèle M. Johnson. Au printemps dernier, M. Ebberson, le fermier de Coleridge, a, pour sa part, dépensé près de 160 000 dollars en graines transgéniques, et tout a marché comme l'avait indiqué la publicité. Il utilise bien moins d'insecticides et autorise désormais son fils à grignoter des graines de soja transgénique fraîchement récoltées dans les champs.

"LE MARCHÉ VEUT NOUS FAIRE COMPRENDRE QUELQUE CHOSE"

Mais qui peut prévoir ce que sera le marché pour les récoltes de l'année prochaine ? M. Ebberson a d'autant plus de raisons de se poser des questions qu'un silo installé près de son exploitation offre une prime de 10 cents [0,65 FF] par boisseau de maïs sans OGM. Les céréales sont destinées à un brasseur japonais qui ne veut aucun OGM dans sa bière. "Je dois réfléchir à ce que le client veut dès maintenant", a répondu l'exploitant. Quand il annonce sa décision de reconvertir les 2 400 hectares de son exploitation aux cultures traditionnelles au printemps prochain, le cadre de DuPont en reste sans voix.

Dans une localité agricole du Nebraska, le marché s'exprime par la voix de l'exploitant du silo local, et le message ces jours-ci est clair pour Harold Hummel, directeur général des silos appartenant aux agriculteurs des environs de Waverly. Leurs entreprises clientes, comme Archer-Daniels Midland, l'usine de broyage de graines de soja située au bout de la route, commencent à demander à M. Hummel de leur fournir des céréales traditionnelles. Pour les satisfaire, ce dernier doit convaincre les cultivateurs de bien séparer leurs cultures transgéniques des autres. Le seul moyen pour les agriculteurs de le faire serait de construire de nouveaux réservoirs de stockage et de nettoyer leurs moissonneuses-batteuses avant de passer d'un champ à l'autre : un cauchemar sur le plan logistique, qui réduirait à néant les avantages des cultures transgéniques.

"Nous sommes pris en tenaille entre les fermiers propriétaires du silo et les marchés que nous approvisionnons, se lamente M. Hummel. C'est une vraie calamité." Lui-même n'est pas équipé pour stocker deux variétés différentes de maïs. Sa principale installation n'est dotée que d'un seul réservoir. Mais, pour l'année prochaine, il réfléchit à l'utilisation du silo d'une localité voisine pour le stockage des récoltes non transgéniques. Dans ce cas, M. Hummel, qui cette année paie le même prix pour les deux types de culture, devrait débourser un supplément pour les céréales traditionnelles. "Le marché essaie de nous faire comprendre quelque chose, reconnaît-il. Les paysans n'aiment pas l'entendre, mais je pense que la biotechnologie n'a plus le vent en poupe."


Courrier International , Numéro 475
Scott Kilman
09/12/1999 Union européenne

"Des graines de discorde transgéniques"

Des graines de colza génétiquement modifiées ont été semées par erreur dans les champs français, britanniques, suédois et allemands.

Mauvaise blague. La société britannique Advanta Seeds, filiale du groupe néerlandais Advanta, a annoncé mercredi que des OGM avaient été mélangés par erreur à des graines de colza classiques produites en 1998 au Canada. Elles ont été utilisées par des agriculteurs français, britanniques, suédois et allemands. L'annonce a été mal accueillie dans une Europe qui a institué, en 1999, un moratoire sur les récoltes commerciales d'OGM.

La gaffe a été découverte le 3 avril et la compagnie a aussitôt informé les gouvernements concernés. En revanche, l'information n'a été rendue publique que cette semaine. «Les travaillistes ont demandé l'ouverture d'une enquête sur cette affaire», détaille le quotidien britannique «Thé Guardian». «Les libéraux et les militants anti-OGM ont poussé le gouvernement à suivre l' exemple de la Suède», qui a annoncé son intention de détruire toutes les récoltes incriminées.

Mais la Grande-Bretagne n'avait pas adopté une position très claire jeudi. «Les ministres n'ont pas le pouvoir d'ordonner la destruction des plantes contaminées à partir du moment où les risques pour la santé et l' environnement ne sont pas prouvés», poursuit «Thé Guardian». «Ils laissent le choix aux agriculteurs : détruire les plantes ou au contraire faire les récoltes.»

En France, le ministère de l'Environnement, qui réclame l'anéantissement des cultures, s'oppose à celui de l'Agriculture.

Cette actualité est suivie attentivement aux États-Unis, principal producteur d'OGM de la planète. Le quotidien américain «International Herald Tribune» souligne que cette affaire va donner du blé à moudre aux groupes écologistes. «Ils ont affirmé que cette erreur accentuait la nécessité d' interdire totalement les plantes hybrides génétiquement modifiées, même celles utilisées pour les essais scientifiques.» Le prince Charles, au contraire, tient aux tests britanniques. Il a affirmé que «la Grande-Bretagne ignorerait les expériences américaines qui montrent que les OGM sont sains et que ces récoltes seraient interdites sur le sol britannique jusqu'à ce que des tests réalisés dans le pays soient concluants», rapporte l'«International Herald Tribune». Mais le journal américain en profite aussi pour citer l'Union nationale des agriculteurs, qui a tiré une leçon différente de cette erreur. «Il est encourageant de voir que le gouvernement n'a pas trouvé de risques pour la santé et l' environnement dans les OGM. Alors on peut se demander pourquoi il y a tant d 'inquiétudes à leur sujet.»


Courrier International 19/5/2000, Numéro 498
Sciences BIODIVERSITÉ

L'accord sur la biodiversité : une "étape historique" ?

A Montréal, 130 pays ont pour la première fois affirmé leur droit de refuser l'importation d'OGM en vertu du principe de précaution. Le Wall Street Journal s'interroge sur la validité d'un tel principe.

THE WALL STREET JOURNAL (extraits) New York
Un accord qui fera date vient d'être signé à Montréal par plus de 130 pays. Il autorise les Etats soucieux de l'impact des organismes génétiquement modifiés (OGM) sur la biodiversité à limiter leurs importations, s'ils peuvent fournir des résultats de travaux scientifiques à l'appui de leurs inquiétudes. Cela a-t-il une chance d'aboutir ? Le pacte, baptisé "Protocole sur la biodiversité", permettrait pour la première fois de réglementer le commerce mondial des OGM. Il requiert que les expéditions de produits "pouvant contenir" des OGM soient étiquetées de façon spéciale et confère aux pays le droit d'invoquer un "principe de précaution" pour limiter les importations de ces produits. Le principe de précaution laisse aux Etats le soin de prendre des mesures s'ils estiment disposer de motifs raisonnables d'inquiétude quant à la sécurité des consommateurs et de l'environnement. Les chefs d'État du monde entier l'affirment, cet accord était plus qu'attendu, compte tenu de l'essor rapide du commerce de produits transgéniques comme le maïs ou le soja. Or certains pays craignent que ces OGM ne représentent un danger pour l'environnement.

"Fondamentalement, ce protocole reflète l'importance de la science et de l'approche préventive en tant que guide pour la prise de décision", commente David Anderson, ministre de l'Environnement canadien. "Tout Etat qui fait fi de l'avis préventif de la science s'expose à de graves conséquences, pas seulement pour l'environnement, mais aussi pour le bien-être de sa population."
"La communauté internationale a montré qu'elle prend au sérieux les
inquiétudes des gens et garantit le droit de prendre des décisions parfaitement fondées, reposant sur le principe de précaution, afin de protéger l'environnement", déclare Margot Wallstroem, commissaire à l'Environnement de l'Union européenne.

L'ennui, c'est que le fameux principe de précaution est loin de faire l'unanimité dans les rangs des signataires. Les grands exportateurs [Etats-Unis, Argentine, Canada] n'ont accepté de signer le "Protocole sur la biodiversité" qu'à la condition qu'il reste vague sur la question. "Bien sûr, la précaution doit être un élément clé de tout système de réglementation", concède David Aaron, sous-secrétaire américain au Commerce, "mais je crains qu'en en faisant un principe politique on ne suscite de faux espoirs dans l'opinion publique, qui pourrait croire que les risques alimentaires peuvent être réduits à zéro."

Les gouvernements de l'UE se sont quant à eux empressés de saluer la signature du protocole. "Nous venons de franchir une étape historique. Désormais, le commerce de ces produits sera pleinement soumis au principe de précaution, ce qui permettra d'assurer une meilleure protection de la diversité biologique et de la santé des consommateurs", a déclaré Dominique Voynet, ministre de l'Environnement française. C'est au nom de ce même principe que la France a interdit les importations de boeuf britannique, invoquant d'éventuelles conséquences sur la santé. Elle compte d'ailleurs parmi les pays de l'UE qui interdisent l'utilisation de semences génétiquement modifiées, alors même que des scientifiques américains en ont affirmé l'innocuité.

La Commission européenne a précisé que le fait d'invoquer ce principe est "avant tout une décision politique, s'exerçant dans des cas où l'information scientifique s'avère incomplète ou peu probante". Toutefois, un tel accord politique ne va pas de soi. Paris et Bruxelles sont en désaccord quant à l'interdiction du boeuf britannique par la France, et il y a tout lieu de croire que la commission reste divisée au sujet du principe de précaution. Si l'on en croit Margot Wallstroem, ce principe permet à la Commission de "prendre des mesures même si elle ne dispose pas de toutes les preuves scientifiques ou si elle ne connaît pas tous les enchaînements de causes et d'effets". Et d'ajouter qu'il faut "mettre en évidence les risques, en effectuer un bilan, puis proposer un plan de gestion des risques". Erkki Liikanen, commissaire responsable des Entreprises et de la Société de l'information, a néanmoins affirmé la semaine dernière que le principe "ne saurait servir de prétexte pour entraver" le commerce, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'UE, et qu'il "aura toujours un caractère temporaire". Il a par ailleurs précisé que toutes les mesures adoptées en vertu du principe de précaution seront appliquées de façon suivie et qu'elles devront être réexaminées à la lumière des nouvelles données scientifiques.


Courrier International 03/02/2000, Numéro 483
Brandon Mitchener

"Si l'opinion perd foi en la science"

OGM, vaches folles, ozone... Les gouvernements doivent désormais répondre de difficiles questions. Mais où trouveront-ils des scientifiques indépendants pour les conseiller ?

PROSPECT (EXTRAITS) Londres
Science:
Après les deux guerres mondiales, puis la guerre froide, les angoisses fondamentales concernant la survie de chacun n'ont pas entièrement disparu. Elles ont plutôt changé de terrain, passant de celui du conflit armé à celui des grandes controverses sur la vie moderne. La surpopulation est-elle sur le point de provoquer un cataclysme de famines et d'épidémies ? Les pesticides seront-ils responsables de cancers chez tous les humains ? Quelle est l'origine du trou dans la couche d'ozone ? Existe-t-il un traitement contre le sida ? La biodiversité est-elle importante ? La Grande-Bretagne va-t-elle connaître une épidémie de la maladie de la vache folle ? L'effet de serre est-il réel ou non ? Doit-on prendre le risque de manger des aliments génétiquement modifiés ? La place de plus en plus importante prise par ces controverses scientifiques n'est pas seulement un phénomène médiatique. Près de la moitié des lois soumises à l'approbation du Congrès américain comportent un fort composant scientifique, qui dépasse les compétences des députés dans ce domaine. Ce phénomène se manifeste également, et de manière croissante, dans les autres démocraties. Les problèmes sont en général trop complexes pour que les politiciens et les citoyens puissent faire autre chose que se soumettre au consensus scientifique (si celui-ci existe, ce qui n'est pas toujours le cas). Nous dépendons de plus en plus de l'avis des scientifiques, tout en ne sachant pas très bien si, au fond, nous devons leur faire confiance.

Le problème concerne au premier chef les scientifiques qui conseillent le gouvernement. Aujourd'hui, en ce qui concerne les avis scientifiques, Whitehall [siège des ministères et des administrations publiques britanniques] dépend davantage d'universitaires extérieurs que de ses propres scientifiques. Cela soulève deux problèmes. Le premier, c'est que le gouvernement pourrait s'apercevoir, à un moment inopportun, qu'il ne dispose pas d'une expertise nationale sur laquelle fonder ses décisions. Ce fut, dans une certaine mesure, le problème qui se posa lorsque éclata la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine [ESB, ou maladie de la "vache folle"]. Le premier groupe de travail sur l'ESB, mis en place en 1988 par le ministère britannique de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Pêche, était composé de trois fonctionnaires et de trois scientifiques, dont aucun n'avait la moindre expérience de recherche effective sur l'encéphalopathie spongiforme. Ce problème se trouva aggravé par la volonté du gouvernement de manipuler les résultats des études afin de justifier une politique déjà définie. Deux éminents chercheurs britanniques sont même allés jusqu'à affirmer que le ministère et l'Agricultural and Food Research Council avaient délibérément bloqué le financement de la recherche sur l'ESB au plus fort de la crise de la vache folle, de peur que cette recherche ne s'avère contradictoire avec la politique gouvernementale à l'égard de l'ESB.

Le second problème est que l'expertise, quand elle est disponible, peut être entachée ou sembler entachée de certains conflits d'intérêts. Le gouvernement prend l'avis de dizaines de comités scientifiques indépendants qui jouent un rôle de régulation sur des questions telles que la sécurité alimentaire et pharmaceutique, la pollution ou l'environnement. Le Committee on Safety of Medicines [CSM, comité sur l'innocuité des médicaments] conseille le gouvernement en matière d'approbation de nouveaux produits. Ses recommandations peuvent être essentielles pour l'industrie pharmaceutique comme pour le public. Une décision gouvernementale qualifiant tel médicament de peu sûr peut coûter à un groupe pharmaceutique des centaines de millions de livres en développement et la priver de milliards de livres de chiffre d'affaires. D'un autre côté, autoriser trop hâtivement la commercialisation d'un nouveau médicament peut conduire à la répétition du désastre de la thalidomide, qui a entraîné la naissance d'une dizaine de milliers d'enfants présentant des malformations, au début des années 60.

Du fait de l'importance des enjeux, quelques comités consultatifs ont attiré sur eux une attention considérable de la part de l'opinion. L'Advisory Committee on Releases to the Environment (ACRE [comité consultatif sur les rejets dans l'environnement]), qui conseille le département de l'Environnement, s'est trouvé mêlé à la querelle des OGM. Le Spongiform Encephalopathy Advisory Committee (SEAC) [comité consultatif sur

l'encéphalopathie spongiforme], qui fait partie du ministère de l'Agriculture, a fait les gros titres de la presse pendant près d'une décennie. D'autres, comme le Committee on Toxicity of Chemicals in Food, Consumer Products and the Environment (COT [comité sur la toxicité des composants chimiques dans l'alimentation, les produits de consommation et l'environnement]), pourraient faire sous peu leur apparition sur les manchettes des journaux.

Les comités scientifiques sur lesquels s'appuie le gouvernement sont composés pour l'essentiel de scientifiques issus de l'université, un état de choses qui paraît à la fois justifié et approuvé par l'opinion. Pour la majorité de la population, le terme de "scientifique indépendant" est délibérément associé à celui de "professeur d'université". L'ennui, c'est que, dans un monde universitaire de plus en plus privatisé, il est difficile de trouver un professeur qui soit totalement indépendant. Un seul coup d'oeil sur les rapports annuels des comités consultatifs comme l'ACRE, le CSM ou le COT suffit pour se rendre compte qu'une large proportion des scientifiques ont des liens avec l'industrie dans les domaines qu'on leur demande d'évaluer. Ces liens peuvent se présenter sous la forme d'actions, de travail de consultation, de subventions, de pensions de retraite, voire de postes de chef d'entreprise. L'année dernière, les Amis de la Terre ont établi que huit des treize membres de l'ACRE entretenaient des liens directs avec l'industrie des biotechnologies et ont affirmé que six membres de ce même comité avaient des liens avec des sociétés que l'ACRE avait autorisées à commencer des essais de culture d'OGM. Au mois de mai 1999, le gouvernement, inquiet des critiques affirmant qu'il favorisait certains groupes d'intérêts particuliers, a annoncé qu'il allait nommer un nouveau comité. On s'est mis en quête d'universitaires véritablement indépendants. John Beringer, l'actuel président du comité, n'est pas optimiste. "Si nous nous mettons à refuser des gens dans les comités sous prétexte qu'ils ont des liens avec l'industrie, nous allons priver ces comités des plus grandes autorités scientifiques", souligne-t-il. Selon lui, presque tous les départements universitaires de valeur vont désormais bénéficier d'un financement industriel. Il semble que l'indépendance totale soit aujourd'hui impossible.

Cela ne veut pas dire pour autant que les décisions prises par l'ACRE sont déraisonnables. Le simple fait qu'un scientifique agisse comme consultant auprès d'une industrie dont il est censé évaluer les risques ou que ses recherches soient financées par une entreprise appartenant à cette industrie ne veut pas forcément dire qu'il ne pourra pas prendre de décisions en toute intégrité, ni même en toute objectivité. La plupart des membres des comités consultatifs croient sans nul doute qu'ils abandonnent toute attitude partiale avant de donner leur avis.

UN SCIENTIFIQUE LIÉ À UNE ENTREPRISE FINIT PAR PERDRE SON OBJECTIVITÉ

 Pourtant, même si l'on peut faire confiance aux conseillers scientifiques pour agir avec intégrité, deux problèmes n'en subsistent pas moins. Le premier est que l'apparence de conflit d'intérêts pourrait, à long terme, se révéler dangereuse du point de vue de l'acceptation de l'autorité scientifique par le public. Le second est que le simple fait d'être associés et de partager un point de vue identique dans un secteur particulier rend possible, à la longue, une perversion de l'objectivité. Un scientifique qui travaille régulièrement pour une entreprise industrielle risque davantage qu'un autre, au cours de sa carrière, de finir par voir les choses de la même façon que les responsables de cette société. Toute évaluation des risques liés à la consommation d'OGM, par exemple, comportera forcément une part d'intuition, d'expérience et d'opinion personnelles, en plus de ce qu'indiquent les faits scientifiques avérés. Voilà peut-être la raison pour laquelle il est si important de préserver une communauté scientifique crédible et indépendante. Imaginez que l'Imperial Collège [structure d'enseignement et de recherche de l'université de Londres] soit financé pour l'essentiel par Monsanto. La recherche serait-elle différente de ce qu'elle est ? Personne ne peut le dire. Le public aurait-il moins tendance à croire

des experts de cette université dans leur appréciation des OGM ? Là, la réponse serait presque certainement oui. La plupart des gens ont d'ores et déjà pris conscience qu'il existe un certain degré de subjectivité dans ce domaine, qu'il est rare que l'expérimentation soit totalement pure et que les scientifiques ont une tendance - qu'ils partagent avec le reste de l'humanité - à voir ce qu'ils sont disposés à voir. Il subsiste pourtant le sentiment commun de confiance qu'à long terme le processus scientifique parvient toujours à améliorer les choses, à faire des prédictions exactes et à fournir des réponses rationnelles. Cette croyance dépend toutefois de la foi en l'intégrité des scientifiques. Le maintien de la confiance du public dépendra de l'adoption de règles visant à minimiser les conflits d'intérêts. Nous assisterons à l'avenir à un flot croissant de grands débats politico-scientifiques, qui pourraient concerner les rapports entre téléphones mobiles et tumeurs du cerveau, entre cancer et pilule contraceptive, ou encore les dangers insoupçonnés de la thérapie génique. Dans un monde universitaire envahi par le mercantilisme, ils constitueront autant de tests sur le caractère de la science.


Courrier International 13/01/2000, Numéro 480
Thomas Barlow

 "L'agriculture européenne creuse sa tombe"

Les réticences de l'Europe face aux OGM sont sources de conflits commerciaux avec les Etats-Unis, rappelle le Une attitude qui pourrait, à terme, marginaliser les agriculteurs du Vieux Continent.

FINANCIAL TIMES (extraits) Londres
De toute l'Europe, des voix s'élèvent pour faire interdire ou du moins pour réclamer un moratoire sur la culture de plantes génétiquement modifiées et la vente de produits alimentaires qui en contiennent. Aux Etats-Unis, premier producteur et exportateur de ces produits, la violence de cette réaction face aux OGM provoque la consternation. En fermant ses portes à un marché qui représente chaque année 1 milliard et demi de dollars, l'Europe pourrait déclencher un véritable conflit transatlantique.

Les Etats-Unis sont de plus en plus irrités de voir l'Europe prête à céder à l'anxiété du public en matière de sécurité alimentaire et à interdire des produits sans pour autant prouver qu'ils représentent un danger, comme l'exige la réglementation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Celle-ci a déjà condamné - pour les mêmes motifs - l'UE pour avoir interdit pendant douze ans le boeuf traité aux hormones, et Washington menace d'user de représailles si Bruxelles n'obtempère pas. Or, dans le cas de la révolution génétique, les intérêts commerciaux en jeu sont beaucoup plus importants que dans celui du boeuf et soulèvent des problèmes politiques beaucoup plus complexes.

Une interdiction dans l'ensemble de l'Union européenne, qu'elle soit ou non cautionnée par Bruxelles, serait presque à coup sûr remise en question auprès de l'OMC par les Etats-Unis. L'administration Clinton subit une pression de plus en plus forte du puissant lobby des agriculteurs américains, qui veulent le voir monter au créneau pour défendre leurs exportations afin de compenser la chute des prix des denrées et le rétrécissement du marché asiatique. Or Bruxelles et Washington, qui s'affrontent déjà à propos de la banane et du boeuf, préféreraient éviter un nouveau conflit, surtout au moment où l'OMC s'apprête à lancer un nouveau round de négociations sur la libéralisation des échanges.

COMMENT ÉVITER UNE GUERRE COMMERCIALE AVEC LES ÉTATS-UNIS ?

Quelle pourrait être la solution ? Pour les Etats-Unis, il faudrait que l'Europe confie la réglementation sur les produits alimentaires à une autorité indépendante disposant des compétences et de la stature de la Food and Drug Administration (FDA). Mais de nombreux observateurs européens estiment que, même si les gouvernements des divers pays de l'UE étaient d'accord pour créer une structure de ce type, il lui serait aussi difficile qu'à la Commission d'imposer ses décisions à des gouvernements et à des consommateurs réticents.

Autre possibilité : l'étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant des OGM. Les Etats-Unis, qui craignaient une discrimination à l'encontre de leurs exportations, s'y sont longtemps opposés. Mais Washington n'est plus aussi hostile à cette idée dans le cadre de son conflit avec l'UE sur le boeuf aux hormones. Cette mesure est cependant difficile à mettre en oeuvre et comporte des décisions difficiles quant aux produits concernés et aux mentions devant figurer sur l'étiquette. Autre problème : il est probable que d'ici dix ans pratiquement toutes les principales cultures américaines seront transgéniques. Cela signifie que la plupart des exportations agroalimentaires américaines devraient porter des étiquettes, ce que les consommateurs européens inquiets pourraient considérer comme un avertissement relatif à leur santé. Il est également possible que le public européen surmonte ses réticences envers les aliments génétiquement modifiés. Mais cela paraît hasardeux : une campagne publicitaire de la société américaine de biotechnologie Monsanto, destinée à rassurer les Européens, a eu un résultat désastreux en provoquant exactement l'effet inverse.

Certains observateurs estiment que l'attitude des fermiers européens sera décisive. "Jusqu'à présent, ils n'ont pas pris part au débat", dit un responsable de l'agriculture européenne. "Peut-être est-ce parce qu'ils sont moins enclins que les fermiers américains à améliorer leur production à cause des énormes subventions qu'ils reçoivent. Ou encore parce que jusqu'à présent ces technologies ont surtout été appliquées à des cultures comme le soja, le maïs et le coton, moins importantes en Europe." Mais, ajoute-t-il, les aides européennes au secteur agroalimentaire sont impitoyablement gelées et le génie génétique sera bientôt appliqué aux principales cultures européennes, comme le blé et la betterave. "Guidés par leurs intérêts commerciaux, les agriculteurs européens constitueront un jour ou l'autre un lobby en faveur des produits génétiquement modifiés."

Si les exigences du public et des politiques en faveur d'une interdiction des OGM deviennent irrésistibles, deux conséquences seront de plus en plus probables. La première, c'est que les relations commerciales de l'UE avec les Etats-Unis et les autres grands exportateurs d'agroalimentaire subiront des tensions croissantes. La deuxième, c'est qu'en rejetant le progrès scientifique l'agriculture européenne se desséchera.


 

Courrier International 04/03/1999, Numéro 435
Guy de Jonquières

"Inoffensifs, les OGM ? En principe..."

FINANCIAL TIMES (extraits) Londres
Après la vache folle, les OGM seront-ils à l'origine d'une nouvelle crise ? Les scientifiques sont quasiment unanimes : il y a très peu de risques pour que les produits de ce type dont la vente a été autorisée nuisent à la santé humaine. Il y a dix ans, on pensait aussi que l'encéphalite spongiforme bovine (ESB) n'avait pratiquement aucune chance de contaminer l'homme. Les rares scientifiques hors normes qui prétendaient que la maladie pouvait passer la barrière des espèces étaient jugés fantaisistes et leurs mises en garde sont restées lettre morte. Il s'est malheureusement révélé qu'ils avaient raison. Le spectre de l'ESB plane sur le débat dont font actuellement l'objet les aliments transgéniques. Une fois de plus, pour la grande majorité des scientifiques, manger des produits génétiquement modifiés ne fait peser aucune menace sur la santé humaine. Seule une minorité des chercheurs exprime des doutes quant à leur innocuité.

Si, en Europe, la culture de plantes transgéniques se limite à des expériences sur des surfaces très limitées, elle revêt déjà une dimension commerciale en Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu'en Asie de l'Est, sans que les consommateurs ni les responsables politiques s'en émeuvent particulièrement. Selon toutes les enquêtes d'opinion à grande échelle, comme celles qu'ont conduites le Pr Durant, de l'Imperial Collège, et George Gasket, de la London School of Economics, les consommateurs manifestent beaucoup plus de réticences à l'égard des OGM en Europe qu'en Amérique du Nord.

Abstraction faite de l'ESB, qui n'a pas touché les Etats-Unis, le Pr Durant estime que l'image de l'agriculture est très différente de part et d'autre de l'Atlantique. "Lorsque les Européens évoquent la faune et la flore sauvages et l'environnement rural, ce sont les terres agricoles qu'ils ont à l'esprit ; pour eux, les manipulations génétiques sont une nouvelle étape dans l'intensification de l'agriculture, qu'ils ne souhaitent pas. A l'inverse, les Américains ont à l'esprit les vastes étendues vierges de leurs parcs nationaux ; à leurs yeux, les terres agricoles font partie du secteur industriel."

Il faudra peut-être attendre des années avant de savoir si les Européens ont raison d'êtres sceptiques ou si, au contraire, l'enthousiasme des Américains est justifié. D'après Vivyan Howard, toxicopathologiste à l'université de Liverpool, il sera extrêmement difficile de vérifier si l'homme est effectivement victime d'éventuels effets néfastes des aliments transgéniques. "Les premiers signes n'apparaîtront peut-être qu'au bout de vingt ou trente ans. Et, comme toutes les populations auront été touchées, il sera impossible de faire des comparaisons. Il s'agit d'une expérience sans garde-fous."


Courrier International 04/03/1999, Numero 435
Clive Cookson et Vanessa Houlder

"Il faut raison garder et les OGM adopter"

THE ECONOMIST Londres
Ceux qui s'élèvent contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) n'avancent pas toujours des arguments de poids. Les solutions mises au point pour résoudre tel ou tel problème sont suspectées d'en créer d'autres plus graves encore. Exemple : si vous introduisez un gène dans une plante pour la rendre stérile, afin que la modification ne puisse pas s"'échapper", on vous reproche d'empêcher le renouvellement des semences pour l'année suivante. Si vous fabriquez une plante à l'épreuve des insectes, on vous accuse d'encourager le développement d'espèces d'insectes plus résistantes. De tels problèmes, à en croire certains, sont trop sérieux pour être laissés à des scientifiques. Les objections faites aux OGM sont de nuire d'une part à l'environnement, de l'autre à notre santé. S'ils sont dommageables à l'environnement, c'est ni plus ni moins que l'agriculture classique. Ils feront sans doute encore davantage pencher la balance du côté des agriculteurs en leur permettant d'utiliser le maximum d'ensoleillement et de

garder pour eux l'essentiel de la production. Cela ne peut que nuire à la faune et à la flore sauvages. La défense des espèces sauvages est certes fort louable, mais mieux vaut la pratiquer directement, sans attendre des agriculteurs qu'ils agissent contre leurs intérêts. En outre, de nombreux OGM nécessitent moins de pesticides, ce qui devrait avoir des conséquences favorables pour l'environnement.

Pour ce qui est des effets néfastes en matière de santé, le tollé qui agite ces temps-ci le Royaume-Uni [voir l'article de The Observer en p. 32] aurait tendance à faire oublier que ceux-ci ne sont absolument pas prouvés. Ce qui ne veut pas dire que certains OGM ne seront jamais dangereux. Il importe donc de privilégier une approche au cas par cas. On pourrait ainsi informer davantage le consommateur via l'étiquetage. Il serait bon également que le secteur agrochimique ne se limite pas, en fait d"'améliorations", à produire par exemple des tomates plus rouges. Mais des interdictions ou des moratoires sur l'ensemble des OGM ne sont pas souhaitables. En effet, les quelques produits transgéniques commercialisés offrent d'ores et déjà des avantages concrets. En outre, les règles du commerce mondial stipulent que les mesures de sécurité affectant le commerce doivent être fondées sur des données scientifiques, et non sur des craintes populaires. Or c'est au mépris de ce principe que l'Europe a interdit les importations de boeuf aux hormones en provenance des Etats-Unis. L'OMC s'est prononcée contre cette décision, arguant que les risques liés aux hormones n'étaient pas démontrés scientifiquement. L'UE n'a pourtant pas l'air décidée à lever l'interdiction. Il va falloir d'une façon ou d'une autre empêcher les divergences scientifiques ou pseudoscientifiques d'empoisonner le commerce mondial.

Signe encourageant, l'Argentine et le Mexique s'alignent sur les Etats-Unis pour défendre le libre-échange en matière d'OGM. Quoique pauvres relativement aux pays occidentaux, ils voient des avantages dans l'adoption des OGM. D'autres pays pauvres devraient se rappeler la "révolution verte" des années 50 et 60, elle-même fondée sur les nouvelles technologies agricoles. Il est sans doute exagéré d'affirmer que les OGM annoncent une nouvelle révolution verte. Mais l'Histoire enseigne que les nouvelles techniques agricoles font plus de bien que de mal. Il serait absurde de vouloir en empêcher l'adoption.


Courrier International 04/03/1999, Numero 435
Sarah Ryle et Robin McKie

"Patates transgéniques : les Anglais en font tout un plat"

Outre-Manche, le doute à propos des aliments modifiés par génie génétique menace les industries du secteur et sème la panique dans les assiettes.

THE OBSERVER Londres
New Scientist

Ce devait être la nourriture de demain : une ambroisie transgénique censée nourrir les hordes de la Terre au siècle prochain. C'est devenu un cauchemar politique. Début février, au Royaume-Uni, une avalanche de critiques d'une férocité inouïe s'est abattue sur les producteurs d'aliments génétiquement modifiés, et cet assaut a fait tant de bruit qu'on imagine mal la survie commerciale de leurs produits. Loin d'être des bienfaiteurs nutritionnels, les OGM (organismes génétiquement modifiés) font aujourd'hui figure de parias de l'agroalimentaire européen. Comment expliquer une telle calamité médiatique ? Comment cette "supernourriture" a-t-elle pu connaître un échec aussi spectaculaire dans l'opinion ? En fait, on a mal compris le public, sa crainte de la science, et on a négligé le fait que les consommateurs veulent avoir le choix, faute de quoi ils deviennent soupçonneux et cèdent à la peur. Ils craignent notamment que les cultures transgéniques ne menacent leur santé, leur environnement et qu'elles permettent à quelques géants de l'industrie pharmaceutique de monopoliser l'agriculture.

Concernant la santé humaine, il y avait peu de motifs d'inquiétude avant que n'éclate l'affaire Pusztai, l'an dernier. Arpad Pusztai, 68 ans, du Rowett Research Institute, à Aberdeen [Ecosse], avait affirmé [à la télévision] que des rats nourris avec des aliments transgéniques souffraient de problèmes immunitaires alarmants. Par la suite, une enquête mit en cause ses méthodes de recherche. Il prit sa retraite et l'affaire sembla classée - jusqu'à ce que, début février, un groupe de scientifiques (dont, précisons-le, aucun n'est spécialisé en génie génétique) signe une pétition reprochant à l'employeur de Pusztai son attitude. Ses études révèlent les risques potentiels du génie génétique, affirment les pétitionnaires, qui prétendent, par ailleurs, avoir découvert un danger passé inaperçu jusqu'ici.

L'OPINION PUBLIQUE IGNORE LA "RAISON" SCIENTIFIQUE

Pusztai travaillait sur des lectines, une famille de protéines insecticides que l'on trouve dans certaines variétés de haricots. Il nourrit des rats avec deux sortes de pommes de terre, les unes enrichies en lectines, les autres ayant été génétiquement modifiées pour en produire. Les rongeurs ayant consommé des tubercules transgéniques virent certains de leurs organes, dont le foie, s'atrophier. Ces résultats firent scandale et l'institut écossais ordonna une enquête externe. Les conclusions de Pusztai furent remises en cause. Selon ses détracteurs, il travaillait avec des lectines qui sont les véritables responsables de l'atrophie. Mais les études complémentaires réalisées par l'un des collègues de Pusztai, Stanley Ewen, de l'université d'Aberdeen, laissent penser que ces déductions rassurantes sont erronées. Les pommes de terre transgéniques ont provoqué plus de déficiences chez les rats que celles auxquelles on a ajouté des lectines. Autrement dit, quelque chose dans le processus de modification génétique semble incriminé.

Le problème, c'est que ni les recherches de Pusztai ni celles d'Ewen n'ont été publiées ni soumises au contrôle d'un pair. "C'est la seule étude prétendant que la modification génétique est dangereuse, mais nous ne pouvons pas l'évaluer parce que nous n'avons pas accès aux données", regrette le Pr Ray Baker, responsable du Conseil sur la recherche en biotechnologies et en sciences biologiques [BBSRC, un organisme public britannique destiné à promouvoir la recherche en matière de biologie et de biotechnologies]. Depuis, les travaux réalisés à Aberdeen sont devenus le prétexte à un "scandale alimentaire" : une voix solitaire et courageuse s'efforçant de soulever une question d'intérêt général, mais censurée par des fonctionnaires et des politiciens cyniques. En vain, des scientifiques tentèrent de montrer qu'il n'y avait pas de scandale puisqu'il n'était pas question de nourriture humaine. Le public ne pouvait donc pas être menacé. Malheureusement, depuis les calamiteuses maladresses de la crise de la vache folle, l'opinion publique britannique se méfie de toutes les déclarations officielles et n'est pas d'humeur à écouter les voix de la "raison scientifique". Les médias non plus. Si l'on en croit les gros titres de la presse, Pusztai a été réhabilité, tous les OGM sont "frankensteiniens" et il faudrait un moratoire sur les cultures transgéniques - comme le réclament les vingt scientifiques internationaux soutenant Pusztai. En fait, compte tenu de l'hystérie actuelle, il n'y a pas la moindre chance que ce genre de culture soit commercialement exploitable en Grande-Bretagne avant de nombreuses années - malgré les quelques expériences en cours. "Pour l'heure, seule une application est en projet : celle d'AgrEvo, qui voudrait faire pousser du colza résistant à un herbicide, le glufosinate", explique Phil Dale, du John Innes Centre, à Norwich. "Il leur faudra des années pour satisfaire à la réglementation et passer les tests de sécurité - à condition évidemment que l'entreprise n'abandonne pas en chemin."

DES MAUVAISES HERBES TENACES QUI ÉTOUFFERAIENT LES CHAMPS

Cela nous amène à la deuxième grande frayeur du public : les plantes modifiées pour résister aux pesticides et aux herbicides ne risquent-elles pas de détruire nos campagnes ? L'insertion de tels gènes est censée bénéficier à l'environnement en améliorant le contrôle des mauvaises herbes. "A ce jour, toutes les études montrent que les cultures modifiées nécessitent moins de produits chimiques que les cultures traditionnelles", poursuit Phil Dale. Mais beaucoup craignent que le pollen de ces plantes ne dérive au gré du vent et ne soit intégré par des herbes environnantes qui deviendraient elles aussi résistantes aux herbicides. La Grande-Bretagne serait envahie de mauvaises herbes tenaces qui étoufferaient nos champs. "C'est oublier que seules les espèces proches pourront utiliser ce pollen pour former un hybride", affirme Phil Dale, qui était l'un des conseillers du gouvernement en matière de dissémination d'OGM. "Le colza modifié, principal candidat à la plantation à grande échelle au Royaume-Uni, ne pourrait s'hybrider avec aucune mauvaise herbe."

Mais il en faudrait plus pour décourager les détracteurs des OGM. Les industriels de l'agroalimentaire, plaident-ils, refusent de dévoiler les données de leurs essais en champ. Or le public veut être rassuré, et il ne l'est pas. Et le mouvement écologiste - qui, depuis longtemps, rejette l'agriculture moderne intensive - a trouvé là le cheval de bataille qui lui manquait. Et cela nous mène à la troisième grande peur du public : le monopole de la production agricole des deux côtés de l'Atlantique par un ou deux fabricants d'OGM. Dans le cas de Monsanto - le plus gros producteur d'OGM -, il y a de bonnes raisons de s'inquiéter. La crise actuelle est surtout due à l'insistance de Monsanto à exporter du soja vers l'Europe sous forme de cargaisons mélangeant produits transgéniques et traditionnels. Les consommateurs ne pouvaient pas les différencier ; l'Europe objecta. Elle fut menacée de guerre commerciale et, dans les supermarchés, apparurent de nombreux produits alimentaires transgéniques non labellisés. Deux ans plus tard, nous en récoltons les fruits.

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