"MARDI 15 JANVIER, EN PROCÈS À VALENCE" |
J’ai 42 ans, je suis instituteur, directeur de l’école de Chabrillan, conseiller municipal à Mirabel-et-Blacons : je suis un citoyen responsable, respectueux des lois et de la démocratie. Pourtant, j’ai participé à une action « illégale » de destruction de maïs OGM et à ce titre, avec 9 autres personnes, je suis passé en procès mardi 15 janvier 2002. Le jugement a été mis en délibéré au 8 février. RAPPEL DES FAITS Le 26 août 2001, nous avons mené une action collective contre la culture de maïs OGM en plein champ (à l’appel de la Confédération Paysanne, ATTAC 26/07, les Verts-Drôme et Agribiodrôme). Nous étions environ 250 personnes et notre manifestation a consisté à couper les maïs de deux parcelles d’essais réalisés en plein champ : à Salettes (essai conduit par Monsanto, firme multinationale de semences et produits phytosanitaires), puis à Cléon d’Andran (essai conduit par Biogemma, appartenant au groupe semencier Limagrain, portant sur l’expérimentation d’un gène permettant la stérilité des fleurs mâles ainsi que la résistance à un herbicide). Ces essais, « autorisés par la Commission du Génie Biomoléculaire », étaient dépourvus de tous moyens de protection contre la dissémination des pollens et des gènes modifiés (les pollens de maïs ont une capacité de dissémination de 400 à 500 mètres en moyenne, hors vent). Les maïs étaient cultivés par des agriculteurs locaux, mais appartenaient à Monsanto et Biogemma. Nous avons mené cette action au grand jour, et nous la revendiquons clairement ; la presse, écrite et télévisuelle, était largement présente. LE 15 JANVIER, LE DÉBAT S’EST TENU AU TRIBUNAL Parmi les 250 participants à cette action, la firme Biogemma a « choisi » 10 personnes qu’elle cite en justice. Chacun d’entre-nous, outre un jugement au pénal (prison ? amende ?), se voit demander plus de 25 000 000 F de dommages et intérêts par Biogemma ! Biogemma nous accuse d’être des délinquants de droit commun, destructeurs du bien d’autrui, mais pour nous, il s’agit évidemment d’un procès politique : pour nous, la séance du 15 janvier devait être un lieu de débat, et il a été cela. Au cours du procès, ce sont 10 témoins de qualité qui se sont succédés à la barre, et que le juge a écoutés avec attention : témoignages d’ordres philosophique et scientifique d’Albert Jacquard, de Michel Tibon-Cornillot, de Jean-Pierre Berlan, …, témoignage de pollution OGM par Patrick de Kochko, etc.… Dans son réquisitoire, le procureur n’a requis qu’une peine de principe relative aux faits (prison avec sursis et amende de 300 €), mais a précisé que la justice n’est pas compétente pour juger dans un tel domaine. Le verdict a été mis en délibéré au 8 février. UNE ACTION POUR PROVOQUER UN DÉBAT Il faut rappeler que de nombreux citoyens (y compris nos parlementaires drômois) réclament un moratoire sur les essais en plein champ (principe : attendre que la recherche ait étudié les dangers des OGM avant d’en semer en dehors des serres d’expérimentation), mais que ce moratoire n’a encore jamais été discuté au parlement. Si j’ai participé à cette action, c’est parce que je trouve scandaleux qu’un maïs contenant des gènes contaminant soit cultivé en plein champ. Notre action était symbolique : elle visait à provoquer un débat autour des OGM. Et ce débat, avec des actions comme celle-ci, arrive enfin. Lorsque la Confédération Paysanne menait des actions contre les importations illégales de farines animales, elle cherchait à provoquer un débat : si le débat avait pu avoir lieu, peut-être que l’épidémie de vache folle aurait pu être enrayée plus tôt, sans avoir les conséquences humaines et économiques qu’elle a eues … LES RAISONS DE MA PARTICIPATION Autant il est techniquement possible d’introduire des gènes d’autres espèces dans une cellule de maïs, autant il sera impossible de les retirer sous peine de détruire l’espèce entière … et toutes les espèces voisines contaminées. La contamination par les OGM est irréversible. Fin août, nous venions d’apprendre que 41% des doses de maïs traditionnelles étaient contaminées par les OGM ! Au Mexique, où la culture des maïs OGM est interdite, ce sont les maïs sauvages qui sont contaminés, la diversité biologique est en grave danger ! Face à une situation aussi dangereuse, autant je suis fonctionnaire d’état et je pratique ma mission avec éthique, autant j’ai commis là un acte de désobéissance civile, que je jugeais indispensable, et que je revendique. Nous avons appliqué le principe de précaution : tant qu’il ne sera pas prouvé, scientifiquement (et de façon totalement indépendante des firmes agrochimiques) que les transgènes introduits dans le maïs peuvent se répandre parmi les végétaux et dans la chaîne alimentaire sans aucun danger, je considère qu’il faudra continuer à détruire toutes les cultures effectuées en plein champ. Avant de développer cette technologie, dans l’hypothèse où elle serait utile, nous ne sommes pas à quelques années près : depuis le néolithique, ça fait 10 000 ans que l’homme développe l’agriculture, et aujourd’hui, il produit assez pour nourrir la planète. L’urgence, ce n’est plus de produire plus, mais de mieux répartir les richesses ; on peut se permettre d’attendre 10 ans de recherches scientifiques sérieuses avant de décider si les OGM sont utiles ou non, dangereux ou non. En tant que citoyen, je lutte contre le fait que des firmes financières puissent imposer un modèle de développement qui nous concerne tous, même non-agriculteurs. Des firmes comme Monsanto ou Limagrain affirment qu’elles vont lutter contre la faim dans le monde, comme si leur vocation était philanthropique !! Il suffit de remarquer que 99% des OGM commercialisés dans le monde sont des OGM résistants à un herbicide ou produisant un insecticide. Les firmes qui produisent les semences sont les mêmes qui produisent les herbicides : en développant les OGM, elles développent l’épandage de leurs herbicides. Et ne croyez pas que l’agriculture en emploiera moins : au contraire, avec cette logique, les apports de désherbants ne feront qu’augmenter ! Les firmes semencières ne font pas des recherches pour lutter contre la faim dans la monde En fait, elles visent à obtenir des brevets sur le vivant pour développer leur monopole sur les semences, et leurs ventes de produits phytosanitaires. Les OGM ne répondent pas à un besoin, ni des agriculteurs, ni du tiers-monde, ni des consommateurs. C’est un moyen pour ces firmes de rémunérer mieux leurs actionnaires. Un exemple avec le gène de stérilité mâle : qui va " économiser " les 24 000 000 F par an que Biogemma nous réclame au procès ? Les producteurs de semence en économisant sur la main d’œuvre ? Mais pas du tout : ce sera le semencier Limagrain, en payant moins cher ses producteurs … au profit de ses actionnaires ! Je suis consommateur, et je vis en milieu rural. Je n’ai jamais demandé à ingérer des OGM : on me les impose, … et dans quelques années, j’en aurai jusque dans mon propre jardin ! Aujourd’hui, nous réclamons un moratoire pour permettre un débat sur les OGM. Face à la pression économique imposée par les firmes multinationales et l’impérialisme américain, le seul moyen que j’ai trouvé de m’opposer à cette atteinte à mon alimentation, à mon environnement, c’est de participer à des actions comme celles-ci. Le jour où Biogemma, Monsanto et autres, à force de " petits essais sans danger pour l’environnement ", auront obtenu une contamination des maïs non-OGM, … tous les maïs seront OGM, … , de même, tous les crucifères sauvages auront été contaminés par les colzas OGM, les légumineuses sauvages par les sojas OGM, …, et le débat n’aura plus de raison d’être, car aucun retour en arrière ne sera plus possible. Nous ingérerons des gènes animaux en mangeant des légumes ; nous serons gavés de gènes de résistance aux antibiotiques qui auront été utilisés dans le cadre de la technologie des OGM, les bactéries se seront évidemment sélectionnées, au passage, … et avec quels antibiotiques pourrons-nous lutter contre les maladies ? J’ai en charge des enfants, et je dois les aider à préparer leur avenir, sur une planète où les richesses seront réparties d’une façon un peu plus juste et où l’environnement sera viable. Avec les OGM, les paysans du tiers-monde n’auront bientôt plus le droit de produire leur semence, ni même de cultiver ce qui est utile à leur alimentation : ils seront obligés, sous peine de devoir payer aux actionnaires des pays riches, de semer les graines qu’ils auront achetées à Limagrain, Monsanto ou Pionneer, et de traiter leurs cultures avec les produits phytosanitaires vendus par cet mêmes firmes. L’inégalité s’aggravera. Les bactéries auront muté pour résister aux antibiotiques, les insectes parasites auront muté pour résister aux plantes OGM insecticides, la quantité de glyphosate et autre clufosinate dans les nappes phréatiques rendra l’eau non-potable … Je suis syndicaliste et je défends un service public d’éducation. Mais de plus en plus, dans l’école, nous voyons apparaître des propositions de prestations privées, à faire financer par les familles ou les collectivités locales, plus ou moins riches. Je m’oppose à cette marchandisation de l’école. De même, je revendique que la recherche faite sur les dangers des OGM soit menée par l’INRA ou le CNRS financée suffisamment par l’état, sans aucun apport de capital privé. Il est inadmissible que ce soit le même organisme – privé et au seul service de ses actionnaires – qui en même temps commercialise les OGM et en même temps conduise les recherches sur les conséquences de ces OGM. Seul un service de recherche public et indépendant peut être au service des citoyens. Il est indispensable qu’on décide un moratoire sur les OGM, pendant lequel des chercheurs du service public pourront étudier en toute indépendance (et en milieu confiné) les dangers de cette technologie. Jean BEAUFORT |