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Un délit de Lèse-Science

Un article de campagnes solidaires, n° 158, décembre 2001, mensuel de la Confédération Paysanne 

Arrachage de riz transgénique


Le 22 novembre, des militants paysans ont été à nouveau jugés devant la Cour d'appel de Montpellier pour avoir détruit des essais de recherche appliquée aux ogm. En réalité, ils ont commis le crime insupportable de s'attaquer aux fondements même de l'édifice de la science technicienne. Qu'en pensent les scientifiques venus témoigner leur soutien aux inculpés ?

 

Mahanta Devaru Nanjundaswamy est professeur en Inde et aussi fermier. Il représente un syndicat de l'État du Karnataka (krrs). de 10 millions de paysans, soit cinq fois plus que la population agricole française:

" Un des objectifs de la caravane des Indiens était de rendre publique les terribles méfaits des biotechnologies appliquées à l'agriculture et mises en oeuvre par les multinationales. Ainsi savait-on en Europe que depuis trois ans, plus d'une centaine de paysans indiens ayant planté du coton Bt se suicident chaque année ? Ces plantes présentant une résistance de plus en plus grande aux insectes, deviennent très difficiles à cultiver. Obligés d'acheter des quantités d'insecticides, nombre de paysans s'endettent, certains jusqu'à la ruine. Les dommages sur l'environnement sont irréversibles. La biodiversité est véritablement menacée par les ogm.

Notre pays n'a besoin d'aucune plante transgénique. Quelle aberration cette nouvelle variété de riz transgénique riche en vitamine A qu'on essaye de nous faire avaler : il faudrait manger dix fois la ration habituelle pour ne pas être carencé ! Les multinationales ont introduit les ogm en Inde sans aucune concertation avec les autorités locales. Pour convaincre les paysans que les semences transgéniques étaient bonnes, des noms de dieux indiens leur ont été données !

Avec ses recherches appliquées aux plantes tropicales, le Cirad était une cible bien choisie pour faire passer notre message. Il s'agissait d'un acte de démocratie directe. C'est par des actions non violentes (on détruit des objets, sans s'attaquer aux personnes) que la société civile arrivera à se faire entendre sur des sujets aussi fondamentaux que la protection de la biodiversité de la planète. Solidaires des accusés de ce procès, je demande à la Cour d'inculper tous les Indiens présents à cette action collective ".

 

Gilles-Éric Séralini, chercheur depuis quinze ans, aujourd'hui à l'Université de Caen, expert auprès du gouvernement français (Commission du génie bio-moléculaire et Comité Biovigilance) et de l'Europe (Direction générale de l'agriculture) sur les ogm, président du Conseil scientifique duCrii-Gen (Comité de recherche et d'information indépendante sur le génie génétique):

" A priori, les chercheurs qui travaillent sur les ogm prêchent pour leur propre chapelle. Il est nécessaire d'apporter une contre information, principalement sur quatre points :

1°/ Les ogm ne sont pas fabriqués en vue de nourrir le monde : 99 % d'entre eux servent à tolérer des herbicides ou à produire des insecticides.

2°/ Ces " éponges à désherbants " ne facilitent pas l'agriculture durable maisl'agriculture intensive (améliorations technologiques permettant des gains de productivité dans le travail). Des phénomènes de résistances apparaissent, nécessitant l'emploi de désherbants particulièrement nocifspour l'environnement. Curieusement, l'application d'herbicides augmente dansdes pays comme le Canada où sont cultivés des ogm qui soi-disant devaient rendre plus " propre " les pratiques culturales. En réalité, le paysan est pris en otage par ces nouvelles technologies.

3°/ Les ogm ne proviennent pas d'une recherche de haute volée. Par exemple, ces organismes contiennent encore des gènes de résistance aux antibiotiques.Ce sont simplement de premiers " brouillons génétiques ". Dans un organisme génétiquement modifié, on sait ce qu'on y introduit mais on ignore ce qu'ilen résultera, d'où la nécessité de faire des tris expérimentaux.

4°/ L'évaluation de l'impact des ogm sur l'environnement et la santé n'est quasiment pas étudiée. La réglementation actuelle autorise une commercialisation hâtive de ces bricolages technologiques sans imposer d'études d'impact comme c'est le cas lorsqu'on crée un nouveau pesticide ou un nouveau médicament. C'est évident que pour les multinationales, la valeur ajoutée d'un maïs ne sera jamais celle d'un médicament. Mais c'est grave, on mange plus de maïs que de médicaments !

Mae Van-Ho, depuis trente-cinq ans chercheur universitaire en biochimie génétique en Grande-Bretagne ; experte, notamment, auprès de l'onu et du Parlement européen. Cofondatrice de l'Institut Isis (1) qui a lancé une pétition demandant un moratoire sur les ogm et l'interdiction des brevets sur le vivant ; 463 chercheurs l'ont signée:

"Le but des recherches génétiques est de détruire les barrières inter-espèces. Les gènes qui " voyagent " entre espèces différentes peuvent être à l'origine de nouvelles maladies.

À la différence des combinaisons génétiques ayant lieu naturellement, les constructions génétiques réalisées par l'homme sont instables. En janvier dernier, en Australie un virus, à l'origine inoffensif est devenu accidentellement mortel. Il s'agit du mouse poks, proche cousin de la variole humaine (2).

La nature devient un laboratoire aux mains des multinationales. Par exemple, le riz transgénique est fabriqué à partir d'un matériel génétique à base debactéries qui diffusent des toxines, censées avoir des effets sur la santé humaine ! En effet, Bacillus thuringensis, nécessaire à la fabrication de l'insecticide Bt, présente des points communs avec la bactérie provoquant l'anthrax. Pour l'instant, l'impact de cet insecticide diffusé par les ogm est clairement démontré sur les insectes auxiliaires, notamment les abeilles.

Pour le génie génétique comme pour les armes biologiques, on utilise les mêmes matériaux, les mêmes outils, les mêmes méthodologies. Ainsi, les ogm pourraient devenir les armes biologiques de demain. Nos gouvernements sont totalement sous informés. Il est urgent d'ouvrir un débat public."

(1)   Institut of science in society visant à promouvoir une science indépendante pour un futur durable. Site web : www.i-sis.org

(2)    Voir Le Monde 13 janvier 2001.

 

Jacques Testart, directeur de recherches à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), président de la commission française du développement durable, membre du Comité des Sages (1):

À la différence des techniques de procréation humaine, les OGM ne correspondent pas à une demande sociale. Les OGM ne servent encore à rien. Mais comment alors parler de risques quand il n'y a pas d'avantages ? Mieux vaudrait arrêter d'en fabriquer. Par contre, la recherche trouve sa légitimité dans une meilleure connaissance du génome.

La croyance dans les vertus des OGM actuels résulte d'une démarche irrationnelle.
À l'inverse, il serait de l'ordre du rationnel de rechercher les avantages significatifs des OGM - ceci en milieu confiné -, pour ensuite demander l'avis des citoyens ; l'étape suivante consisterait à contrôler l'innocuité de telles cultures avant de concevoir des essais en milieu ouvert.

Les conséquences économiques, environnementales et sociales des ogm sont telles qu'un débat avec la société est la moindre des choses à mettre en oeuvre. Finissons de mystifier des avantages qui n'en sont pas pour le citoyen mais qui s'avèrent être des intérêts pour les multinationales ! Avec ce bricolage du végétal, la science est tout bonnement au service de la compétitivité des entreprises. Comment reconnaître la science dans des essais dont le but est de savoir si le hasard a bien fait les choses en conférant les qualités espérées à des végétaux bricolés, c'est-à-dire des essais qui se limitent à évaluer des qualités commerciales ? Il ne s'agit pas de mieux comprendre des phénomènes moléculaires ou environnementaux pour apporter une pierre à la connaissance mais seulement d'établir le niveau de performance afin de leur conférer un éventuel label pour l'usage industriel .Même au prix de cette confusion entre science et évaluation, qu'espère-t-on conclure de tels saupoudrages expérimentaux sur quelques parcelles ? Aux États-Unis, quarante millions d'hectares d'ogm sont cultivés depuis plusieurs années, sans qu'aucune conclusion claire n'apparaisse.

Le rapport du Commissariat général du plan (juillet 2001), sous la responsabilité de Bernard Chevassus-au-Louis, en fait le constat : " Toutes les données économiques cherchant à appréhender les résultats obtenus parles variétés transgéniques au niveau des exploitations ne marquent pas un avantage incontestable des ogm dans la durée, sur la totalité d'un territoire, pour toutes les plantes et suivant tous les critères retenus ".Ce qui signifie que tel ogm avantageux ici sera sans intérêt ailleurs ou l'année suivante.

Même analyse dans le rapport du 25 août 2000 de la Commission européenne :il n'y a " pas de preuves concluantes quant à la rentabilité des cultures transgéniques pour les agriculteurs ".

Les organismes génétiquement modifiés ne sont pas une fatalité. L'alternative existe. En Afrique, une variété de riz, aux rendements multipliés par trois, vient d'être obtenue par une méthode de sélection classique. Qui peut préférer le riz ogm enrichi à la vitamine A dont il faut ingurgiter 9 kg par jour pour ne pas être carencé ?

Avec les ogm, c'est la première fois qu'une technique à risque, sans avantage, est imposée. Même si les ogm parvenaient dans l'avenir à démontrer les qualités promises, il restera que la terre a été transformée en immense champ d'expérimentation avant même que la faisabilité du projet eût été démontrée. Tant de légèreté est la rançon des urgences imposées par une vision archaïque du progrès et ne semble pas avoir d'équivalent dans l'histoire des technosciences. On se demande qui sont les obscurantistes.

(1)   Le Comité des Sages, créé à l'instigation de Matignon, est composé de quatre présidents : Jean-Yves Le Déaut (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques), Didier Sicard (Comité consultatif national éthique), Jacques Testart (Commission française du développement durable), Christian Babusiaux (Conseil national de l'alimentation). En février, il fera un bilan des différentes positions sur les ogm et les essais aux champs.

 

Arpad Pustzai, docteur en biochimie, expert international des lectines(protéines insecticides) ayant mené ses travaux sur la pomme de terre transgénique dans le cadre de Rowett Research Instittute d'Aberdeen(Institut national de la nutrition) en Écosse, membre de la Société Royale d'Edimbourg.

" En 1995, mon laboratoire a répondu à l'appel d'offre européen pour étudier l'impact de la culture de pomme de terre transgénique sur la faune auxiliaire et aussi sur sa valeur nutritionnelle chez les mammifères. À cette époque, je croyais aux ogm.

Lors de l'analyse des tissus de 125 rats ayant été nourris avec de la pomme de terre transgénique, nous avons très rapidement observé une stimulation anormale du pancréas, des intestins, de la prostate et des testicules, une atrophie du foie et un retard dans le développement du cerveau. Nous avons été également surpris par l'instabilité génétique des pommes de terre modifiées.

Ainsi, une fois les expérimentations terminées, je ne pouvais plus du tout garantir l'innocuité des aliments transgéniques pour la consommation des mammifères ! En août 1998, avec l'accord de mon Institut, je donne une brève interview à la télévision où j'explique pourquoi je ne mangerai jamais de pommes de terre transgéniques. J'ai eu le malheur de dire que nous, les humains, étions les cobayes de ces expérimentations et que les cobayes doivent être dans les labos et non dans les rues. Après trente-six ans de service, j'ai été mis à la retraite avec ordre de me taire. Mais depuis que les parlementaires britanniques m'ont interrogé, je retrouve l'usage du droit de parole. Et même, en mars 2002, sera publié le travail des vingt chercheurs que j'ai coordonné durant trois années, avec un budget de 160millions de francs. Aujourd'hui, on ne conteste plus nos résultats mais on ignore encore leurs explications. Ces évaluations toxicologiques des ogm nenécessitent pas moins d'études mais plus. Mais il semblerait qu'on en soit au point mort. N

Propos recueillis par Cécile Koehler

Analyse après procès:

Pour José Bové, ce procès sur la destruction d'ogm a le mérite de poser deux débats cruciaux pour le devenir de notre société : comment fonctionne la recherche actuelle et quelle finalité donne-t-on à la science ?

"Aujourd'hui, la recherche fonctionne en circuit fermé car elle est construite sur une idéologie technicienne qui relève de trois ordres :

-un Scientifique, avec ses grands prêtres de l'Académie des sciences qui sont dans un système d'autojustification permanente. 

-un Économique, comme le démontre le brevetage sur le vivant. Sans les brevets, les ogm n'existeraient pas.

-un Politico-judiciaire : celui qui porte une atteinte irréversible à notre environnement et à notre santé se trouve a priori blanchi en terme de responsabilité pénale. Par cette réalité de la loi, l'État couvre le pollueur.

Nous sommes au cour d'une société matérialiste dans laquelle la science est une technique qui devient une fin en soi. Autant la recherche qui cherche à comprendre le fonctionnement du vivant est indispensable, autant la techno-science qui bricole avec le vivant, sans remettre en cause ses postulats, est fondamentalement dangereuse.

La science devrait émaner de recherches qui partent du principe qu'elles ne savent pas et qui ensuite démontrent que ce qu'elles ont découvert est faux. Elle devrait être la quintessence de l'esprit critique.

Les recherches du Cirad sur le riz transgénique reposent sur le présupposé qu'elles sont utiles, sans se poser la question de leur finalité, sans vouloir reconnaître qu'elles sont une conséquence logique du brevetage du vivant imposé par les détenteurs du pouvoir économique. Dans ces conditions-là, être remis en cause par une simple réalité paysanne, c'est tout bonnement insupportable. "

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